Belaaouaj : Bêta-lactamases
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Thèse de Physiologie de la nutrition présentée à Université de Paris VII

pour obtenir le grade de Docteur de l'Université

par

 

Abderrazzaq Belaaouaj

 

Bêta-lactamases TEM-1 : émergence dclinique de mutants résistants aux inhibiteurs de bêta-lactamases. Etude microbiologique, enzymatique et génétique

 

soutenue le 13 mai 1992

 

devant la commission d'examen :

Portha, B., président

Paul, G., Krishnamoorthy, R., Labia, R., Sirot, J., et Frère, J. M., examinateurs

 

INTRODUCTION

Actuellement, les bêta-lactamines constituent la famille d'antibiotiques la plus importante dans le traitement des infections d'origine bactérienne. Depuis le début de leur utilisation, et parallèlement à leur développement, se pose le problème de l'augmentation régulière de la résistance des bactéries aux bêta-lactamines.

 

Certes, l'usage des antibiotiques a permis une diminution de la mortalité due aux maladies infectieuses. Mais leur fréquence d'emploi est également responsable de l'évolution de la résistance bactérienne. Une souche pathogène peut acquérir de nouveaux mécanismes de résistance soit en incorporant des déterminants génétiques de résistance portés par des plasmides d'autres espèces, soit par mutation au niveau de son matériel génétique qui entraîne l'émergence d'une sous-population résistante pouvant être sélectionnée au sein de la majorité des germes sensibles aux antibiotiques.

 

Ainsi, l'émergence de Staphylococcus aureus dans les années 50 était due, au moins en partie, à sa résistance à la pénicilline G. Cette résistance est elle-même le résultat de l'acquisition de plasmides codant pour les bêta-lactamases qui hydrolysent la pénicilline G. Ensuite, l'introduction de l'ampicilline, première bêta-lactamine à large spectre, a été suivie également de l'émergence de souches résistantes par production de pénicillinase de type TEM chez les bacilles à Gram négatif naturellement sensibles comme E.. coli.

 

On notera aussi la découverte de bêta-lactamases transposables expliquant leur diffusion à d'autres espèces telles Haemophilus influenzae et Neisseria gonorrhoeae (Meideros A.A., 1984 - Philippon A. et Paul, G., 1986). Dernièrement, la résistance à la tétracycline, conférée par le gène tetO qui était considéré spécifique à certaines espèces comme Streptococcus mutant (Leblanc D. J. et coll. 1988) a été retrouvée chez une espèce totalement différente Campylobacter coli chez laquelle elle est largement répandue (Sougakoff W. et coll. 1987).

 

Au cours de la décennie écoulée qui a vu l'introduction de nouvelles céphalosporines résistantes à l'inactivation par les bêta-lactamases, un nombre croissant d'échecs cliniques a pu être rapporté à des souches mutantes hyperproductrices de céphalosporinase à médiation chromosomique (Enterobacter cloacae, Serratia marcescens, Pseudomonas aeruginosa) ou à des souches productrices de bêta-lactamases à médiation plasmidique (Klebsiella pneumoniae, Escherichia coli, Proteus mirabilis). Il s'agit là des principales espèces concernées et de leurs variants résistants que l'on retrouve en milieu hospitalier (Bauernfeind A. et Hori G., 1987 - Brun-Buisson C. et coli, 1987 - Bure A. et coli, 1988 - Collatz E. et coll. 1990 - Korfmann G. et coll. 1988 - Labia R. et coll. 1988 b, c - Seeberg A. H. et coll. 1983 -Sirot J. et coli, 1988 - Vuye A. et coll. 1989).

 

On constate alors que, peu après l'introduction d'un nouvel antibiotique, l'acquisition de résistance en limite rapidement l'intérêt. En fait, après un demi siècle d'antibiothérapie, il est un fait acquis que certaines espèces peuvent s'adapter par transfert de gènes ou par mutation aboutissant à la résistance et peuvent ainsi survivre. Il est probable que ces micro-organismes trouveront toujours un moyen de résister aux nouveaux antibiotiques.

 

Afin de remédier à ce problème de la résistance des bactéries aux bêta-lactamines, une solution judicieuse a été proposée et reste d'un intérêt considérable dans la résistance de nature enzymatique. Il s'agit de restaurer la sensibilité de la souche résistante par l'utilisation d'un inhibiteur enzymatique. Celui-ci, en se complexant avec la bêta-lactamase, source d'inactivation des antibiotiques, préserve ces derniers et leur permet d'atteindre leurs cibles. Ainsi, l'association d'inhibiteurs de bêta-lactamases avec une bêta-lactamine représente une solution adaptée au traitement de certains problèmes de résistance bactérienne à cette famille d'antibiotiques.

 

On connaît depuis longtemps les propriétés inhibitrices de certaines pénicillines comme la méticilline (Gourevitch A. et coli, 1962) ou la cloxacilline (Hamilton-Miller J. M. T. et coli, 1964). Il est possible d'obtenir une synergie entre ces composés et l'ampicilline ou la pénicilline G. La carbénicilline est également un inhibiteur de plusieurs céphalosporinases (Labia R. et coll. 1976a). Mais aucun de ces composés ne fournit de synergie suffisamment importante pour une utilisation en thérapeutique. Certaines céphalosporines de troisième génération, en particulier le moxalactam (Fu K. P. et Neu H. C., 1979) et le cefotetan (Labia R. et coll. 1983b), possèdent des propriétés inhibitrices. Cependant, leur action compétitive ne porte généralement que sur un nombre restreint d'enzymes. De plus, ces molécules sont par elles-mêmes de puissants antibiotiques.

 

Il y a quelques années, une étude systématique de nombreuses substances naturelles produites par différentes souches d'actinomycètes a permis la découverte de nouveaux inhibiteurs de bêta-lactamases: les acides olivaniques et l'acide clavulanique (Brown J. R. et coll. 1976a). Par la suite ont été isolés d'autres composés naturels apparentés aux acides olivaniques et possédant en outre d'autres propriétés inhibitrices. Ils forment la famille des carbapénems. Leurs propriétés inhibitrices sont souvent masquées par leur propre activité antibactérienne.

 

Pour une utilisation en association avec d'autres bêta-lactamines, l'acide clavulanique ainsi que le sulbactam sont des inhibiteurs beaucoup plus intéressants. En effet, ces molécules ne possèdent qu'un très faible pouvoir antibactérien (Hunter P. A. et coli, 1980) et ne risquent donc pas de conduire à un antagonisme avec d'autres antibiotiques.

 

L'acide clavulanique est actuellement la molécule la plus intéressante. Il entre dans la catégorie des inhibiteurs "suicides" qui se détruisent dans le processus d'inactivation des bêta-lactamases. Leur mécanisme d'action particulier leur a valu le nom d'inhibiteurs "Kcat" (Rando R. R., 1974 - Abeles R. H. et Maycock A. L., 1976). De plus, l'acide clavulanique présente un temps de demi-inactivation très court (< à la minute ) par rapport à la durée de multiplication des bactéries, et une bonne affinité pour la plupart des bêta-lactamases autres que les céphalosporinases. Il possède en effet un spectre d'inhibition beaucoup plus étendu que les autres inhibiteurs de bêta-lactamases. Il agit sur les pénicillinases de staphylocoques et les bêta-lactamases à large spectre produites par les bactéries à Gram négatif. Cependant, les céphalosporinases sont faiblement inhibées à l'exception des enzymes de Proteus vulgaris et de Bacteroides fragilis (Labia R. et Péduzzi J., 1983a).

 

La découverte récente de la disparition de la synergie entre l'amoxycilline et l'acide clavulanique chez des colibacilles isolés en 1989 à l'hôpital Cochin et producteurs de bêta-lactamases distinctes des céphalosporinases, témoigne de l'émergence de souches nouvelles, résistantes à ce type d'association et caractérise la poursuite de l'évolution de la résistance des bactéries aux antibiotiques .

 

Cette évolution de résistance est inhabituelle par rapport aux évolutions connues auparavant car elle n'étend pas le spectre d'activité enzymatique à un plus grand nombre de bêta-lactamines comme l'on fait avant elle les bêta-lactamases à spectre élargi. Au contraire, elle limite l'extension de la résistance à l'association des pénicillines avec les inhibiteurs enzymatiques.

 

Les travaux présentés dans cette thèse sont consacrés aux thèmes suivants:

-         la caractérisation de l'expression in vivo de cette résistance chez la bactérie.

- l'étude du mécanisme de cette résistance.

- et enfin la mise en évidence de l'origine génétique et de la structure des enzymes concernées.

 

Une partie introductive rappelle la structure des bêta-lactamines, leur mécanisme d'action et les connaissances actuelles sur les mécanismes de résistance des entérobactéries aux bêta-lactamines.

 

L'avènement de nouvelles molécules pour lutter contre les résistances bactériennes a conduit à l'acquisition de nouvelles résistances. Ainsi, un nombre sans cesse croissant de souches isolées en milieu hospitalier sont résistantes à la plupart des bêta-lactamines connues (Sutherland R., 1991). Cette résistance a été attribuée dans de nombreux cas à la production de bêta-lactamases.

 

Les inhibiteurs spécifiques de bêta-lactamases tel que l'acide clavulanique constituent un moyen thérapeutique précieux. Ainsi par exemple, l'association de l'acide clavulanique avec l'amoxycilline (Augmentin) permet d'augmenter le spectre antibactérien de cet antibiotique. Ces inhibiteurs présentent également un intérêt dans le criblage des souches productrices de certains types de bêta-lactamases. En effet, de par leur intérêt thérapeutique majeur qui consiste à restaurer la sensibilité des souches, ces inhibiteurs permettent de détecter les bêta-lactamases dont le spectre d'activité s'est élargi  jusqu'aux bêta-lactamines les plus  puissantes, céphalosporines de Sème génération, considérées initialement comme résistantes à l'hydrolyse par les bêta-lactamases.

 

L'apparition des deux bêta-lactamases TRI-1 et TRI-2 responsables de la résistance aux inhibiteurs enzymatiques pose de nouveau le problème de l'évolution et de la dissémination de ces gènes de résistance.

 

Les gènes ainsi mutés peuvent disséminer soit par épidémie des souches d'E. coli, soit par transferts des plasmides à d'autres espèces bactériennes soit par transposition.

 

Une telle dissémination peut engendrer entre autres, des difficultés à identifier les souches productrices de bêta-lactamases à spectre élargi.

 

Ces travaux auront contribué à l'élucidation des modifications moléculaires à l'origine de la résistance aux inhibiteurs enzymatiques (TRI-1 et TRI-2). Ces modifications correspondent à des mutations ponctuelles dans la structure primaire des protéines affectant ainsi l'affinité de l'enzyme.

 

La détermination de la séquence nucléotidique des gènes blaTRI-1 blaTRI-2 a révélé que ces déterminants sont des variants de gènes de structure des pénicillinases de type TEM. En effet, la séquence protéique dérive de celle de TEM-1 par la substitution d'un acide aminé. De plus, un mutant de la pénicillinase TEM-1 analogue de celui des souches d'E. coli produisant TRI-1 et TRI-2, a été obtenu dans E. coli par sélection in vitro avec l'acide clavulanique et par mutagenèse dirigée.

 

Tous ces résultats confirment l'évolution par mutation des pénicillinases de type TEM vers une nouvelle spécificité de substrat: les enzymes TRI-1 et TRI-2 dont l'affinité et/ou la catalyse ont changé sont insensibles ou peu sensibles aux inhibiteurs enzymatiques.

 

De ce fait, les acides aminés les plus conservés dans les bêta-lactamases de la classe A notamment TEM-1, ne sont pas obligatoirement la cible des mutations pour modifier les propriétés fondamentales ou structurales de-cette protéine.

 

Une mutation portant sur les autres acides aminés (acide aminé 241 dans notre étude) peut permettre à l'enzyme d'évoluer vers une protéine aux propriétés biologiques nouvelles.

 

Grâce à cette seule substitution d'acide aminé liée à une mutation nucléotidique ponctuelle, la bactérie acquiert un mécanisme de résistance enzymatique efficace contre les inhibiteurs enzymatiques. Mais, la mutation responsable de cette évolution a conduit simultanément à la réduction relative du spectre d'hydrolyse et à la diminution de l'affinité de l'enzyme. Autrement dit, ce nouveau phénotype de résistance résulte de la production d'enzymes, dérivées de TEM, à spectre restreint.

 

L'émergence de ces souches bactériennes résistantes aux inhibiteurs enzymatiques pose la problème de leur origine. Ces souches ont pu être sélectionnées chez les patients à la suite de traitements et peuvent constituer un risque de contamination d'autres patients, ou bien elles ont existé dans l'environnement et la survenue de mutations spontanées dans leurs gènes a renforcé le caractère de résistance préexistant.

 

Un travail épidémiologique au sein de l'hôpital Cochin est en cours sur des souches présentant un phénotype TRI. Actuellement quelques nouveaux types de résistance ont été identifiés.

 

La dissémination de cette bêta-lactamase est passée jusqu'à maintenant inaperçue. Plusieurs hypothèses différentes et complémentaires peuvent être avancées:

-         Les plasmides hébergeant TRI ont une faible fréquence de transfert.

-         L'utilisation de nouvelles bêta-lactamines efficaces comme les céphalosporines de 3ème génération a masqué l'évolution de la résistance aux inhibiteurs de bêta-lactamases.

 

Il peut sembler que ces nouvelles résistances sont apparues longtemps après la commercialisation, en 1984, de l'Augmentin en France. En réalité, l'apparition à la même époque de bêta-lactamases à spectre  élargi a monopolisé  l'attention de l'ensemble des bactériologistes. Il paraît donc probable que cette résistance souvent moins élevée à l'amoxycilline, à la ticarcilline et aux uréidopénicillines est passée totalement inaperçue. C'est d'ailleurs toujours le cas dans la plupart des pays où des associations d'inhibiteurs de bêta-lactamases et de bêta-lactamines sont utilisées actuellement.

 

La persistance des caractères de résistance à l'état endémique, liée à la grande variabilité du génome bactérien, reste problématique. Le contrôle et la prévention de la déssimination de ces résistances nécessitent le respect des mesures prophylactiques et des protocoles thérapeutiques précisément adaptés aux infections afin de ne pas favoriser la sélection de nouveaux mutants.



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